Analyse

Loin de Singapour

Vous souvenez-vous du sommet de Singapour ? C’était il y a deux ans, c’était il y a un siècle. Commentateurs et même spécialistes étaient presque tous d’accord: le sommet « historique » entre USA et Corée du Nord marquait le début d’une nouvelle ère, la réintégration de Pyongyang dans la communauté internationale, et une promesse de paix durable, voire de réunification à terme, pour la péninsule coréenne. Et d’abord, à brève échéance, sa dénucléarisation. Pour Donald Trump, c’était un succès majeur, c’était le triomphe de sa conception de la diplomatie. Et il ne se privait pas de couvrir d’éloges démesurés l’autocrate nord-coréen. Comme le dit ensuite le sulfureux président philippin Duterte, il valait mieux être l’ennemi de Donald Trump que son allié, on était mieux traité.

C’est à Séoul qu’on s’en prend directement, mais c’est bien sûr aussi à Washington qu’est adressé le message.

Las… Ce rapprochement tout en façade, déjà largement compromis par l’échec du sommet de Hanoi, l’an passé, vient de voler en éclat – au sens précis du terme, Pyongyang venant tout simplement de faire sauter, sous les caméras, le bâtiment du bureau de liaison avec la Corée du sud, situé sur son territoire. Et toutes les communications téléphoniques sont désormais interrompues. C’est à Séoul qu’on s’en prend directement, mais c’est bien sûr aussi à Washington qu’est adressé le message.

Le président sud-coréen de gauche Moon Jae-In est le grand perdant. Il est bien mal récompensé de son attitude compréhensive au point de la soumission envers le Nord. Il s’en était fait le commis-voyageur à travers le monde, demandant à tous la levée des dures sanctions internationales décidées par l’ONU contre Pyongyang. Sa position vis-à-vis de sa propre opinion en est affaiblie, mais il aura contribué à faire passer le message désiré par Kim Jong-un: si les choses se détériorent, ce sera du fait des manigances de Washington, et de sa trop grande influence à Séoul. Pour Kim, l’avantage stratégique est acquis: se faire passer pour le seul vrai porteur du nationalisme coréen; et jeter un coin entre Séoul et Washington, en jouant des sentiments anti-américains accrus de la population sud-coréenne.

Pour Trump, l’échec est cinglant, total. Il n’a absolument rien obtenu. Il avait concédé l’arrêt des manoeuvres militaires communes avec la Corée du Sud, et légitimé le dictateur du Nord. Ce qui devait constituer le grand succès extérieur de sa présidence a tourné au fiasco. Mais les rednecks du Middle West -sa base électorale- lui en tiendront-ils rigueur ?

Il est difficile de ne pas lire dans tout ceci la volonté de Pékin de montrer qu’on ne se laissera pas faire, et que si Washington est hors d’atteinte, ses amis et alliés frontaliers de la Chine paieront pour l’arrogance de Trump.

On peut enfin y lire l’une des multiples escarmouches de la nouvelle Guerre Froide entre Pékin et Washington, que Trump a sans relâche attisée ces derniers mois, en particulier au travers d’accusations non fondées, outrées et parfois ridicules contre la gestion chinoise de l’épidémie. La nouvelle agressivité nord-coréenne a probablement fait l’objet d’un feu vert de la part de Xi Jinping, qui semble avoir discrètement levé la plupart des restrictions au commerce avec Pyongyang, en dépit des sanctions internationales. Le même jour, trois soldats indiens ont été tués sur la frontière militaire du Ladakh, objet d’un contentieux avec la Chine depuis soixante ans. La poigne pékinoise étrangle chaque jour un peu plus les libertés hongkongaises. Et les menaces redoublent contre la démocratie taiwanaise. Il est difficile de ne pas lire dans tout ceci la volonté de Pékin de montrer qu’on ne se laissera pas faire, et que si Washington est hors d’atteinte, ses amis et alliés frontaliers de la Chine paieront pour l’arrogance de Trump.

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