Analyse

Covid -19 : La Chine est-elle coupable ?

Par Jean-Louis Margolin, Historien de l’Asie orientale contemporaine

C’est un fait (presque) établi : le SARS-COV-2 est né en Chine, et de là a gagné le monde (presque) entier. S’agit-il pour autant d’un « virus chinois », comme Donald Trump aime à le dire ? Oui, s’il avait été forgé par un laboratoire de ce pays – ce qui est aussi la thèse du professeur Montagnier, que le monde ne nous envie plus guère. Mais, à moins de se croire plus perspicace que le consensus scientifique (perversion intellectuelle au demeurant fort courante sur les réseaux sociaux), l’hypothèse ne tient pas, au simple examen du génome du virus. Ce dernier n’est pas davantage chinois que son confrère responsable du Sida n’est congolais, ou que celui de feu la grippe H1N1 n’était mexicain. Profitons-en pour démentir l’assertion courante aujourd’hui d’une origine exclusivement chinoise des grandes vagues épidémiques : la peste noire du XIVe siècle – plus violente épidémie de l’histoire – naquit quelque part en Asie centrale, et le HIV – plus meurtrière épidémie du dernier siècle, avec ses 26 millions de morts attestés – est repérable dès 1959 en Afrique. Il est vrai que la plupart des grippes proviennent du sud de la Chine, où des millions de micro-fermes parfaitement paysannes, dans lesquelles les animaux errent librement (un modèle pour écologistes ?), entretiennent la symbiose entre porcs et volailles, plus un contact occasionnel avec des oiseaux sauvages : l’idéal pour les premiers sauts viraux d’espèce préparant la contamination des humains, quelques mutations plus loin. L’élevage industriel sous abri serait-il la solution ?

Autre assertion trumpienne, plus largement partagée que la première : la Chine nous aurait « envoyé » son virus. La formule est ambiguë : envoi volontaire, ou par négligence ? L’idée d’une expédition délibérée, par exemple pour affaiblir les économies occidentales (ce serait en l’occurrence assez réussi), ne repose sur rien, et n’expliquerait ni pourquoi la Chine aurait commencé par s’infecter elle-même, ni pourquoi elle aurait résolu de se débarrasser de ses premiers clients. Reste la négligence. Elle se subdivise elle-même entre l’hypothèse d’une fuite accidentelle du virus d’un des laboratoires (P2 ou P4) de Wuhan – on y reviendra – et la certitude de très nombreux déplacements, en Chine et dans le vaste monde, d’habitants de Wuhan (11 millions de résidents), dont certains étaient déjà infectés, entre la fin de décembre 2019 et le 23 janvier, quand la ville fut strictement confinée. Il est à peu près certain que le Covid-19 fut ainsi introduit dans les autres provinces chinoises, en Asie du Sud-Est (entre autres en Thailande, via le tourisme balnéaire) ainsi que sur la côte Ouest des Etats-Unis et en Europe, en particulier en Italie.

Une pandémie évitable ? le « retard » chinois

Cette négligence était-elle évitable ? A-t-elle eu des conséquences graves ? C’est ce que proclament les Etats-Unis et de nombreux autres pays, qui évoquent parfois la nécessité pour la Chine de régler la note des dommages incommensurables provoqués chez eux par la pandémie. D’où l’importance cruciale d’une chronologie rigoureuse des faits, tels qu’on les connaît à ce jour. Le premier malade à Wuhan porteur d’une “pneumonie atypique” a été repéré le 12 décembre, sachant que ses premiers symptômes remontaient au 17 novembre. Les deux semaines suivantes, les cas semblables se multiplièrent dans l’agglomération, quoique à une échelle encore très réduite. Il est certain que les contaminés réels étaient déjà nettement plus nombreux : on sait bien aujourd’hui à quel point le Covid-19 peut être confondu avec de nombreuses autres affections, et en particulier avec une simple grippe, dont l’hiver constitue la saison de prédilection. On sait aussi que la plupart des contaminés, aux symptômes légers ou inexistants, ne rencontrent pas de médecin.

Il est cependant tout aussi certain que les malades réellement contagieux (toutes les études s’accordent à estimer que les asymptomatiques le sont peu) étaient encore suffisamment rares pour ne pas encombrer les urgences des hôpitaux (aisément accessibles à presque toutes les bourses dans les grandes villes chinoises) et pour échapper à l’attention des épidémiologistes ou virologues en charge de la veille sanitaire à Wuhan. Il est logique que ce ne soit pas au premier malade un peu bizarre qu’un médecin conclue d’emblée à une maladie totalement nouvelle. Ce fut au travers de la multiplication (quelques dizaines) de ces pneumonies atypiques que, le 30 décembre, la conviction se fit chez une poignée de médecins qu’on était en présence d’une affection non répertoriée, qui rappelait cependant le SARS du début des années 2000. Aucune erreur, aucun retard à ce stade, mais le processus normal de la recherche scientifique, qui consiste à ne pas tirer de conclusions trop hâtives d’indices encore ténus.

L’alarme fut immédiatement transmise à Pékin via le réseau des CDC (Center for Disease Control) provinciaux, et de là à l’OMS – ce qui explique que Taiwan, non membre de l’OMS (du fait de l’ostracisme pékinois) mais où l’on a l’avantage de lire le chinois, ait instauré d’efficaces mesures de contrôle aux frontières dès le 31 décembre. Cela lui vaut à ce jour d’avoir été pratiquement épargnée par l’épidémie.

Aucun retard non plus lors de l’étape suivante. L’alarme fut immédiatement transmise à Pékin via le réseau des CDC (Center for Disease Control) provinciaux, et de là à l’OMS – ce qui explique que Taiwan, non membre de l’OMS (du fait de l’ostracisme pékinois) mais où l’on a l’avantage de lire le chinois, ait instauré d’efficaces mesures de contrôle aux frontières dès le 31 décembre. Cela lui vaut à ce jour d’avoir été pratiquement épargnée par l’épidémie. L’OMS envoya le 3 janvier une alerte mondiale. Les USA, entre autres, ont donc été prévenus de cette nouvelle maladie dès sa mise en évidence. C’est un fait incontestable. En témoigne par exemple l’alerte du CDC d’Atlanta (plus haute autorité épidémique américaine et référence mondiale) du 8 janvier : elle envisage déjà une contamination d’homme à homme, pourtant non clairement avérée à cette date, et exige en conséquence que, lors d’éventuelles consultations médicales aux États-Unis, les précautions les plus strictes soient prises. Entre le 10 et le 12 janvier, deux équipes de virologues chinois isolèrent le virus et décryptèrent son génome, ce qui permit ensuite de donner un nom au virus (SARS-COV-2) et à la maladie (COVID-19), et surtout de mettre au point les premiers tests de repérage de l’affection. L’OMS en fut tout de suite informée, et à travers elle le monde entier.

Avec le recul, on peut aller jusqu’à affirmer que les médecins et biologistes chinois firent montre d’une étonnante efficacité. Le grand épidémiologiste Arnaud Fontanet, dans une conférence de novembre dernier au Collège de France (accessible sur le site de France Culture) n’estimait-il pas que ce serait un exploit pour l’ensemble des plus grands laboratoires mondiaux de virologie associés de parvenir à isoler et décrypter un nouveau virus en moins de trois semaines ? Même ces données une fois diffusées, des pays parmi les plus avancés eurent bien du mal à repérer leurs propres malades, et donc à les empêcher de contaminer leur entourage. Ainsi, aux USA, on considère désormais que les premiers morts du Covid localement contaminés remontent au début de février, alors que ce n’était que début mars que les premières victimes avaient jusque là été relevées. En Italie, on évoque maintenant une circulation du virus début janvier, alors que les premiers morts officiels sont de la fin de février. Parler dans ces cas de « mensonge d’État » serait verser dans le complotisme : on incriminera plutôt des difficultés pratiques et des erreurs. Mais cela vaut aussi pour la Chine, en tout cas jusqu’aux premiers jours de janvier.

Les deux semaines qui suivirent furent plus troubles. A Pékin, on suivit l’affaire avec une inquiétude croissante, comme en témoignent les deux missions d’experts dépêchées à Wuhan. Quant aux autorités du Hubei et de sa capitale (dotées de facto de vastes pouvoirs, compte tenu de l’immensité même de la Chine), elles ont multiplié les atermoiements: rapports lénifiants au Centre pékinois, menaces et sanctions à l’encontre des médecins lanceurs d’alerte (cependant pas emprisonnés, contrairement à ce qu’on lit fréquemment), volonté de nier la réalité des contaminations interhumaines, de manière à maintenir les importantes réunions et manifestations politiques prévues, ainsi qu’à ne pas compromettre les départs vers les familles lors des célébrations du Nouvel An chinois (c’est pour beaucoup de parents la seule occasion de l’année de revoir leurs enfants, laissés au village à la garde des grands-parents). Les conséquences en furent lourdes : massification de l’épidémie à Wuhan, diffusion accentuée dans le reste de la Chine et dans le monde, directement relié à la ville par des dizaines de vols quotidiens. S’il y a quelque chose à reprocher à la Chine, c’est bien là. Mais c’est aussi un reproche que la Chine peut faire à Wuhan.

Entre le 14 et le 20 janvier, le comportement du Centre (c’est-à-dire de la direction du parti communiste, sous l’égide de Xi Jinping) mériterait encore d’être précisé. Le 14, il reçut enfin de ses scientifiques des rapports franchement alarmants sur la situation épidémique au Hubei, avec confirmation de l’hypothèse de contaminations interhumaines. Or il n’y eut ni annonces publiques, ni mesures avant le 20. Pékin a récemment invoqué l’ignorance de la fréquence de ces contaminations, ainsi que la difficulté concomitante à évaluer la vitesse de propagation de l’épidémie (le fameux R0). Raisons plausibles : on ne disposait alors sur la maladie que de deux ou trois semaines de recul. Mais, plus probablement, on hésita à provoquer le drame national d’une annulation des vacances du Nouvel An, et on se demanda comment réussir sans provoquer une panique complète le confinement absolu d’une province aussi peuplée que la France, mesure sans précédent dans l’histoire du monde. Le 23, ce confinement était mis en place, avec efficacité mais non sans souffrances. Et les « échappés du Hubei » se voyaient pourchassés dans les autres provinces, pour être placés en quarantaine dans des « hôtels » improvisés, dont l’un s’écroula sur ses occupants…

Il est facile de jeter la pierre. Après coup, l’évaluation des risques et des bénéfices, ou plus précisément la fixation du point d’équilibre entre inaction et excès d’action est plus aisée à effectuer. Mais, hors Taiwan peut-être, quel État peut se vanter d’avoir, à chaud, manifesté beaucoup plus de compétences ?

S’il y eut assurément entre le 5 et le 20 janvier de multiples contaminations venues directement par avion de Wuhan, celles-ci ne furent tout aussi certainement pas extrêmement nombreuses, sans quoi l’épidémie n’aurait pas attendu le mois de mars pour apparaître de manière macroscopique. Entre-temps, qu’est ce qui empêchait Paris, Londres ou Washington d’adopter sans attendre des mesures de renforcement des contrôles aux frontières, et de suivre les recommandations de l’OMS en testant, traçant et isolant la poignée de malades et de cas suspects ?

Dernier point, qui est probablement le principal : le retard d’environ deux semaines de la Chine à fournir à son peuple et au reste du monde des informations complètes sur la gravité de l’épidémie fut-il réellement dommageable ? Pour la population chinoise, le doute n’est pas permis. Prises vers le 5 janvier (avant, ce n’était guère pensable), quand, au moins à Wuhan, on commençait à percevoir clairement de quoi il retournait, des mesures vigoureuses de recherche et d’isolement des malades encore rares (ce que la Chine fit par la suite et fait encore, avec une débauche de moyens et une redoutable efficacité) auraient probablement pu épargner au Hubei un confinement généralisé, et à diverses grandes villes un confinement localisé. On aurait pu se retrouver dans une situation analogue à celle de Taiwan. Pour le reste du monde, et en particulier pour les pays d’Occident qui aujourd’hui pointent un doigt accusateur vers Pékin, c’est moins évident. S’il y eut assurément entre le 5 et le 20 janvier de multiples contaminations venues directement par avion de Wuhan, celles-ci ne furent tout aussi certainement pas extrêmement nombreuses, sans quoi l’épidémie n’aurait pas attendu le mois de mars pour apparaître de manière macroscopique. Entre-temps, qu’est ce qui empêchait Paris, Londres ou Washington d’adopter sans attendre des mesures de renforcement des contrôles aux frontières, et de suivre les recommandations de l’OMS en testant, traçant et isolant la poignée de malades et de cas suspects ? Enfin, la révélation récente d’un cas de Covid-19 déclaré en banlieue parisienne dès le 27 décembre indique que les premières contaminations hors de Chine (dont le nombre, certainement faible à ce stade, demeure inconnu) eurent lieu avant même que la maladie n’ait été mise en évidence à Wuhan (le 30 décembre). Il est donc probable que l’épidémie se serait répandue dans le monde même si, en janvier, la Chine avait fait preuve de la plus grande célérité.

Un virus échappé ? Le « crime » chinois

La seconde grande accusation tient à la possibilité d’une fuite du virus, involontaire mais non reconnue par les autorités, hors d’un des laboratoires de virologie de Wuhan. Pour le désormais trop fameux P4, cela semble hautement invraisemblable, pour deux raisons. D’une part, si l’on en croit l’enquête récente très fouillée de l’hebdomadaire Le Point (peu suspect de tendresse pour le communisme chinois), ce laboratoire n’est pas encore vraiment opérationnel, en particulier du fait du retrait unilatéral de la France de l’opération. D’autre part, à suivre le grand généticien Marc Peschanski, les dispositifs de sécurité des P4 (qui manient des virus très dangereux) sont si contraignants, et si identiques de par le monde, que toute faille soupçonnée dans celui de Wuhan aurait dû entraîner l’arrêt immédiat de tous les laboratoires de ce type dans tous les pays, le temps de déceler ce qui avait cloché. L’idée n’a apparemment jamais effleuré Donald Trump.

On aurait du mal à exclure absolument l’accident de laboratoire (cela arrive). Mais il n’y a pas le plus petit indice pour en attester.

Reste le P2, à moindre niveau de sécurité, où l’on sait avoir étudié des virus de chauves-souris, y compris des coronavirus. Rien de plus naturel, à partir du moment où l’on entend comprendre et combattre des épidémies telles que le SRAS ou le MERS, sorties de cet animal. On aurait du mal à exclure absolument l’accident de laboratoire (cela arrive). Mais il n’y a pas le plus petit indice pour en attester. Or, ce n’est pas parce que quelque chose reste flou (il n’y avait apparemment pas de chauves-souris au fameux marché de produits frais de Wuhan, le passage du virus au pangolin pouvant cependant avoir eu lieu ailleurs, dans la nature, hors présence humaine) qu’il faut sauter sur n’importe quelle hypothèse gratuite. Il y a plein de choses qu’on ne sait que tardivement, ou jamais. Tout historien – ce que j’essaye d’être – se heurte constamment au doute et à l’incertitude, y compris sur des faits majeurs, et/ou élémentaires. Il est de bonne attitude en la matière de considérer d’abord les hypothèses les plus simples, pas les plus tordues (ce qui distingue l’historien du complotiste). Sinon on rejoint ceux qui pensent que ce sont les extra-terrestres qui ont édifié les pyramides d’Egypte (ou Stonehenge, etc) sous prétexte qu’on n’est pas sûr de leur mode de construction.

Une enquête rétrospective sur l’origine du virus serait sans doute utile, et l’OMS l’a proposée ces derniers jours, pour tenir compte des pressions des Occidentaux ; la Chine vient d’ailleurs d’en accepter le principe. Mais il convient d’admettre par avance qu’elle n’apportera pas forcément de réponse définitive quant à l’hypothèse de la fuite : il est fort difficile, et souvent impossible, de démontrer que quelque chose qui aurait pu avoir lieu n’a pas eu lieu. Et cette enquête ne peut se réaliser aux termes de Washington : Trump et son secrétaire d’État Pompeo en ont fait l’enjeu d’un bras de fer avec la Chine, ainsi qu’un instrument pour la contraindre à la contrition et aux réparations. Ce qu’aucun pays ne saurait accepter sans renoncer à sa souveraineté et à sa dignité.

Des morts dissimulés ? Le « mensonge » chinois

Le dernier reproche fait à la Chine tient à sa prétendue dissimulation du nombre de ses morts (environ 4500, après une récente réévaluation pour tenir compte des décès à domicile – procédure assez banale). Or, de nombreux médias se sont sentis autorisés à multiplier ce chiffre par dix, vingt ou trente, et en ont manifestement convaincu la grande majorité des opinions occidentales.

Ceux qui entendent prouver que Wuhan aurait en réalité subi davantage de pertes humaines que toute autre ville dans le monde se fondent sur des indices d’une fragilité risible, dont on s’étonne que tant de médias réputés, prompts à dénoncer les infox, aient cru bon de les reprendre sans sourciller.

Les chiffres officiels transmis par la Chine ne sont pas certainement pas définitifs – ceux du Royaume-Uni non plus, comme en témoigne ce 19 mai la querelle de décompte entre service national de santé, qui comptabilise les décès Covid, et office national des statistiques, qui évalue la surmortalité, le différentiel étant de près de 50%. Les Chinois eux-mêmes reconnaissent sans trop se faire prier que, pour les contaminations comme pour les décès (eux-mêmes parfois difficiles à définir, du fait des quelque 97% de cas de comorbidités), il faudrait encore rajouter des contingents importants aux chiffres enregistrés. Cela ne signifie nullement qu’il y ait obligatoirement eu mensonge. En effet, il y a erreur et erreur, suivant qu’on reste ou non dans le même ordre de grandeur. 

Ceux qui entendent prouver que Wuhan aurait en réalité subi davantage de pertes humaines que toute autre ville dans le monde se fondent sur des indices d’une fragilité risible, dont on s’étonne que tant de médias réputés, prompts à dénoncer les infox, aient cru bon de les reprendre sans sourciller. Il s’agit en particulier de la queue aperçue en avril pour recueillir les urnes des décédés, sommairement incinérés pendant l’épidémie, à un moment donné dans un funérarium de Wuhan, avec ensuite extrapolation à tous les funérariums (certains disent 7, d’autres 8, j’ai encore lu 17…) de l’immense métropole : ce qui donnerait quelque 45 000 morts. En « oubliant » en outre que, même alors, on pouvait aussi mourir du cancer ou de maladies de cœur : 15 000 à 20 000 morts pour une période de temps équivalente les années précédentes.

La meilleure connaissance que nous avons désormais de la mathématique de l’épidémie actuelle permet d’infirmer définitivement l’hypothèse de décès à Wuhan considérablement plus nombreux qu’annoncés. Partout dans le monde, on a en effet constaté que, laissée à elle-même, l’épidémie entraînait dans sa phase ascensionnelle un doublement des contaminations tous les quatre jours environ. On connaît aussi, approximativement, le pourcentage des contaminations conduisant au décès : entre 0,5% et 3% – ce dernier chiffre en cas de fort débordement des structures hospitalières. Wuhan, qui subit ce débordement lors des deux premières semaines du confinement, subit sans doute un taux de létalité global proche de 2%. On sait enfin que les mesures d’isolation (y compris des malades peu graves par rapport à leurs familles) y furent rapidement des plus strictes – ce qui abaissa drastiquement le R0. Le compteur des contaminations (pas celui des décès, qui surviennent en moyenne 18 jours après les premiers symptômes, et parfois près de deux mois après) fut donc pratiquement bloqué après le 23 janvier.

Sauf à imaginer que le confinement à Wuhan n’ait pas eu lieu réellement, que les hôpitaux y aient été des décors de théâtre, et les médecins des acteurs payés par le PCC (bref que nous vivrions en plein Truman Show), on peut par conséquent calculer que, pour arriver à 45 000 morts à Wuhan, il aurait fallu avoir au 23 janvier cinquante fois plus de contaminés, soit la bagatelle de 2 250 000 – un cinquième de la population.  

Sauf à imaginer que le confinement à Wuhan n’ait pas eu lieu réellement, que les hôpitaux y aient été des décors de théâtre, et les médecins des acteurs payés par le PCC (bref que nous vivrions en plein Truman Show), on peut par conséquent calculer que, pour arriver à 45 000 morts à Wuhan, il aurait fallu avoir au 23 janvier cinquante fois plus de contaminés, soit la bagatelle de 2 250 000 – un cinquième de la population. En appliquant de manière régressive le doublement tous les quatre jours, on parvient à 35 000 contaminés le 30 décembre, jour de la mise en évidence de la nouvelle maladie. 15% environ des cas allant de sérieux à graves – environ 5 000 personnes ²-, les cabinets médicaux et hôpitaux de la ville auraient d’ores et déjà dû être submergés par cette masse de malades, comme par la suite ceux de Bergame ou de Madrid. Or personne ne l’a vue ! Même les lanceurs d’alerte réprimés n’en ont absolument pas fait état, évoquant simplement une série de malades énigmatiques et probablement contagieux. Le fameux Dr Li, l’ophtalmologue décédé à 34 ans en février, était-il en fait un agent stipendié par le régime pour minimiser l’épidémie? Même chose pour les correspondants de la presse occidentale (française incluse) présents à Wuhan pendant toute l’épidémie.

Dernier argument : on sait que de très nombreux Wuhanais (certains parlent de 5 millions, ce qui semble quand même beaucoup) ont voyagé en Chine et dans le monde au cours des semaines précédant le confinement. Si les contaminés avaient été en nombre significatif parmi ces voyageurs, l’épidémie aurait dû exploser un peu partout, dès janvier, sous l’effet de ces milliers d’infectés qu’à l’époque personne ne contrôlait aux frontières internationales ou dans les autres provinces chinoises. On connaît l’efficacité dramatique en matière de contaminations multiples que peuvent avoir quelques individus seulement, par exemple en France à Mulhouse (il semblerait que, avec ce coronavirus, 80% des contaminations soient dûes à 5% des contaminés). Une épidémie totalement dévastatrice à Wuhan aurait obligatoirement dévasté, avec quelques semaines de décalage, tous les territoires et pays où les contaminés wuhanais auraient mis les pieds. Par conséquent, soit on ne croit ni aux chiffres de Wuhan et du Hubei, ni à ceux des autres provinces chinoises, ni à ceux des pays fortement reliés à la Chine, soit on croit à tous, avec les nuances et correctifs qui s’imposent.

Cela corrobore des témoignages quand même nombreux et fiables, par exemple celui du correspondant du Monde à Pékin, qui assurait dans un chat que les hôpitaux de Pékin et Shanghai n’avaient apparemment jamais été débordés. Remarquons aussi que toute la Chine a été loin d’être confinée, ce qui en cas d’épidémie beaucoup plus forte aurait été suicidaire. Et le pays n’aurait pas été en mesure de déconfiner, sans dérapage grave apparent (et on y est bien sûr très attentif: reconfinements locaux, parfois pour un seul cas ; testing des onze millions de Wuhanais en cours, pour cinq nouvelles contaminations), s’il y avait eu des clusters actifs un peu partout, impossibles à réduire complétement en moins de deux mois.

Aujourd’hui, avec les transports rapides et surtout avec internet, il est impossible d’empêcher les informations essentielles de circuler, y compris à l’international, Hong Kong et Taiwan, sociétés sinophones, jouant à ce propos un rôle de sas vers le reste du monde.

Une raison plus anthropologico-historique rend les falsifications de grande ampleur difficiles. Le contrôle social (qui n’est pas que vertical, mais aussi horizontal) est très fort en Chine. La limitation de la contagion est partout passée par des inspections et contrôles très nombreux, très intrusifs, généralement menés dès l’apparition des tout premiers cas (à la différence du Hubei, qui en conséquence en a été réduit à confiner), et auxquels une part importante de la population a été invitée à participer activement : comités d’enquête et de vérification des quarantaines, preneurs de température omniprésents, tout comme les gardes de ruelles, de cités, d’immeubles. Bref, si vous êtes contaminé, ou si vous avez été en contact avec un contaminé, tous vos voisins et votre quartier sont au courant, et soit vous êtes emmené dans un « hôtel » de quarantaine, soit vous êtes contraint de ne pas mettre un pied hors de chez vous, vos voisins y veillant sans ménagement… Le communisme chinois est parfaitement rompu à ce genre de pratique d’auto-contrôle, qui reprend d’ailleurs l’ancienne institution impériale du baojia (auto-discipline au niveau du groupe de voisinage), si efficace qu’il permettait le maintien de l’ordre avec des structures policières et judiciaires ridiculement faibles, même en comparaison avec celles de notre monarchie capétienne de la fin du Moyen-Âge. Le revers, c’est qu’il n’est guère possible de raconter n’importe quoi aux populations… et par exemple de procéder à une sous-estimation massive des contaminations dans leur secteur. Dans le passé, cependant, par exemple lors du Grand Bond en Avant (1959-61), la Chine était composée de cellules communiquant très peu les unes avec les autres, d’où des manipulations démesurées au niveau central. Mais aujourd’hui, avec les transports rapides et surtout avec internet, il est impossible d’empêcher les informations essentielles de circuler, y compris à l’international, Hong Kong et Taiwan, sociétés sinophones, jouant à ce propos un rôle de sas vers le reste du monde. C’est pourquoi il me paraît peu probable que les morts en dehors du Hubei aient été énormément plus nombreux que le très faible chiffre communiqué (124), qui correspond à des taux de létalité souvent étonnamment légers (jusqu’à 0,1% dans certaines provinces).

Critiquer la Chine, mais à bon escient 

Pour la première fois en trois mille ans d’histoire, un régime chinois a décidé de sacrifier une partie notable de sa puissance (économique en particulier) pour préserver ses concitoyens.

Le monde occidental a-t-il seulement intérêt à mener contre la Chine ce qui a donc toutes les caractéristiques d’un mauvais procès, à l’acte d’accusation bien faible ? Sans doute pas, pour trois raisons. D’abord, en rejetant du côté du mensonge et de la dissimulation les immenses efforts accomplis par la population chinoise pour se mobiliser contre le coronavirus et en venir (pour l’instant) à bout ou, pire, en accusant la Chine (et pourquoi pas les Chinois, barbares sans hygiène et dévoreurs d’ignobles mixtures) de chercher à dominer le monde à coup de pandémies, on prend le risque de ressusciter le fantasme délétère du Péril jaune. Cela ne pourrait qu’exalter en retour un nationalisme chinois exacerbé, sur lequel savent jouer le parti communiste et Xi Jinping, qui en sortiraient renforcés, et en tireraient argument pour traiter plus rudement encore tous ceux qui, à l’intérieur, critiquent le totalitarisme sophistiqué qui régit le pays. Deuxièmement, la Chine n’ayant guère les moyens de s’en prendre directement aux États-Unis, ce pourraient être ces épines du pied que sont Hong Kong, et surtout Taiwan, qui auraient à laver l’affront fait à Pékin. Paradoxalement, les jeunes pousses de démocratie du monde chinois auraient à payer pour l’agressivité brouillonne de leur piètre protecteur washingtonien, dont la servilité vis-à-vis de la Corée du Nord a montré la pusillanimité.

Enfin, dans quelques semaines ou quelques mois, à l’heure du bilan de la pandémie, la comparaison entre Chine et États-Unis en matière de pertes humaines risque d’être cruelle pour ces derniers. Aux yeux de l’Afrique et de l’Asie, la Chine pourrait voir confirmé son rôle de modèle à suivre, à la fois plus efficace, et même plus humain, car plus ménager de la vie de son peuple. Car, pour l’historien de l’Asie, cette crise a été le théâtre d’une mutation de première ampleur, curieusement peu notée : pour la première fois en trois mille ans d’histoire, un régime chinois a décidé de sacrifier une partie notable de sa puissance (économique en particulier) pour préserver ses concitoyens. Ni l’Empire, ni Chiang Kai-shek (destructeur des digues du Fleuve Jaune en 1938 pour ralentir la progression japonaise), ni Mao Zedong (refusant en 1959 de renoncer à son Grand Bond malgré les dizaines de millions de morts de faim) ne l’auraient seulement envisagé. Il serait de bonne politique de pousser la Chine à persister et progresser dans ce meilleur respect de l’humain, condition d’une meilleure intégration dans la société mondiale. C’est par l’exemple que le monde démocratique peut assurer l’attractivité de ses principes, et non par une hargne revancharde autant que vaine.

Jean-Louis Margolin, florval@yahoo.com

Les Commentaires sont fermés.