Le Parti Pris

La race est morte, vive la race !

Dans un grand élan moutonnier, nos députés avaient entrepris, en juillet 2018, de réécrire l’article 1er de la Constitution afin d’y faire disparaître le mot « race ». Le projet de révision constitutionnelle, s’il avait abouti, aurait modifié la doctrine républicaine des « distinctions interdites », de sorte que jamais plus les juristes français n’auraient pu arguer que la République assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi « sans distinction de race ». Quelques événements providentiels ont heureusement fait tomber cette réforme dans une oubliette, au fond de laquelle une partie de la Macronie semble ces jours-ci avoir la velleité d’aller l’y chercher, sans doute parce qu’elle se figure pouvoir ainsi donner aux banlieues un gage d’antiracisme gouvernemental.

Le projet de supprimer le mot « race » de la Constitution est doublement stupide. D’abord parce qu’il porte atteinte à l’énoncé constitutionnel le plus explicitement et le plus fortement antiraciste qu’on puisse concevoir. Ensuite, parce qu’il entretient la confusion entre la science et le droit. L’argument avancé par les partisans de cette suppression est en effet que, du point de vue de la vérité scientifique, les races n’existent pas. La génétique des populations considère aujourd’hui, pour des raisons qui sont indépendantes (ou devraient l’être) de la morale et du droit, que les phénotypes humains observables ne correspondent pas à des identités biologiques déterminées. L’humanisme républicain français n’a cependant pas attendu la science et les progrès de la génétique pour faire abstraction de cette diversité visible, non en vertu des données de la biologie, mais au nom de l’égale liberté et dignité de tous les hommes et afin de promouvoir l’égalité devant la loi de tous les citoyens.

Dans le monde vécu, qui n’est pas celui de la science, il y a toujours des « couchers de soleil » et les hommes se perçoivent comme différents par la couleur de la peau ou quelques autres traits physiques. Un Asiatique, un Africain et un Européen se reconnaissent immédiatement « à l’oeil nu », tant du moins qu’il n’y a pas eu métissage, c’est-à-dire « mélange de races différentes », selon la définition classique du terme, que l’Académie française n’a pour l’heure pas modifiée. Le principe de l’antiracisme républicain, comme le disent si bien les Américains est le principe de color-blindness: le principe d’un aveuglement volontaire à la couleur de la peau. Il ne consiste pas à nier l’existence des différences raciales mais à vouloir ne pas en tenir compte dans la définition des droits et des devoirs du citoyen. L’égalité devant la loi ne se fonde ni sur un aveuglement réel aux différences ni sur la vision scientifique de l’unité de l’espèce humaine mais sur une indifférence de principe à l’ensemble des traits qui permettent concrètement aux humains de s’identifier, de se distinguer et, éventuellement, de s’opposer.

En tuant le mot « race », on ne tuerait ni le concept de race ni les races. Sitôt enterrée par la génétique, la race a d’ailleurs été ressuscitée par la sociologie. Ceux qui réclament aujourd’hui l’importation des statistiques ethno-raciales américaines sont parfois les mêmes qui militent pour la suppression du mot race dans la Constitution. La substitution du mot « ethnie » au mot « race » ne doit pas faire illusion: les « Blancs » et les « Noirs » n’ont jamais été des « ethnies » au sens que l’anthropologie donne à cette notion. Le projet d’instituer des « statistiques ethniques » au moment même où l’on veut faire disparaître le mot « race » de l’énoncé des principes du droit n’est toutefois pas incohérent. D’une part la race n’est pas un concept exclusivement biologique, de sorte qu’on peut sans contradiction en nier la pertinence sur le plan génétique et lui en reconnaître une du point de vue de la sociologie. D’autre part, en supprimant le mot race dans la Constitution, on supprimerait l’antiracisme de principe qui va avec, ce qui rendrait ipso facto constitutionnelles les statistiques raciales ainsi, éventuellement, que les politiques de discrimination positive fondées sur la confusion entre discriminations raciales et inégalités sociales à laquelle ces statistiques conduisent.

L’ère de la race et du racisme biologiques est refermée. Celle de la race et du racisme sociologiques s’ouvre. La suppression du mot race de la Constitution ne peut faire disparaître ni les races ni le racisme, simplement accompagner une évolution et l’altération de l’identité politique de la France. La réécriture promise de la Constitution serait bien une manière d’achever l’humanisme républicain, au sens où elle contribuerait à le réduire définitivement à l’état cadavérique.

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