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Déclarations d’Éliane Houlette : de la présomption d’indépendance à la présomption d’influence

Auditionnée le 10 juin dernier par la commision d’enquête de l’Assemblée nationale consacrée aux « obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire », Éliane Houlette, qui était procureur national financier (PNF dirigeant le PNF, le parquet national financier) en 2017, a déclaré sous serment avoir subi des pressions de la part de son autorité de tutelle, mettant notamment en cause le procureur général Catherine Champrenault et soulignant « le manque de transparence » et « le doute qui plane » au sujet de l’origine véritable des demandes qui émanent du parquet général. Elle évoque notamment une réunion qui s’est tenue, selon le Point, le 15 février 2017 à Paris, au cours de laquelle on lui aurait demandé d’ouvrir une information judiciaire contre François Fillon : « J’ai été convoquée au parquet général – j’y suis allée avec trois de mes collègues, d’ailleurs – parce que le choix procédural que j’avais adopté ne convenait pas. On m’engageait à changer de voie procédurale, c’est-à-dire à ouvrir une information judiciaire. J’ai reçu une dépêche du procureur général en ce sens. » Quelques jours après, le 24 février, le PNF ouvrait l’information judiciaire visant François Fillon.

La mise en examen d’un candidat à l’élection présidentielle en pleine campagne électorale est un événement qui ne s’était jusqu’alors jamais produit sous la cinquième république. L’événement donna lieu à des interprétations diverses. Pour les uns, il était la marque d’un progrès démocratique, la preuve que la justice, désormais indépendante, pouvait enfin faire librement son travail de lutte contre la corruption des politiques, dans l’intérêt des citoyens et du pays. Pour les autres, il s’agissait d’une atteinte grave, sinon au principe de la séparation des pouvoirs, du moins de l’élémentaire prudence qui devrait inciter les juges à ne pas s’immiscer dans la compétition électorale au risque de fausser le jeu démocratique. Les plus mesurés des critiques parlaient d’une hubris (démesure de l’ambition) des juges, les plus emportés, de manipulation politique.

La première interprétation, l’interprétation optimiste, reposait sur la présomption d’indépendance de la justice, et notamment du Parquet National Financier chargé de l’enquête, qu’aucun lien hiérarchique, disait-on, ne rattachait au pouvoir politique. Cette lecture de l’événement peut toujours être soutenue après les déclarations d’Éliane Houlette mais, il faut en convenir, beaucoup plus difficilement. Il apparaît aujourd’hui clairement que l’initiative judiciaire est partie d’un échelon tout proche du niveau politique. Le poste occupé par Catherine Champrenault (dont on apprend qu’elle fut membre du cabinet de Ségolène Royal) est en effet considéré comme un poste politique. Il est intéressant à cet égard de noter la manière dont Philippe Bilger, ancien procureur, fin connaisseur du monde judiciaire et homme pondéré, a modifié à la lumière des déclarations d’Éliane Houlette, son appréciation de l’action judiciaire conduite en 2017. Il penchait alors en faveur de la présomption d’indépendance de la justice, il incline désormais à présumer une influence politique : « Sauf à être naïf, impossible de concevoir un dispositif imprégné d’une telle urgence, avec les conséquences qui ne manqueraient pas d’en résulter, sans l’entente complice de quelques personnalités, d’Eliane Houlette au Conseiller Justice de l’Elysée, en passant par la procureure générale gravement mise en cause, le directeur de la direction des affaires criminelles et des grâces et le cabinet du garde des Sceaux. »

La suspicion est d’autant plus légitime qu’il est avéré qu’il n’y a pas eu seulement des « pressions » exercées, mais une volonté de dissimuler l’intervention du parquet général, ainsi que le souligne le Point :  » Éliane Houlette a également assuré avoir reçu une dépêche (un message) le 17 février, lui demandant d’ouvrir une information judiciaire, ce qu’a reconnu Catherine Champrenault dans un communiqué du 19 juin, écrivant qu’elle avait effectivement envoyé un courrier « préconisant » l’ouverture d’une information judiciaire. Au sens du Code de procédure pénale (CPP), un tel courrier peut s’apparenter à une instruction dans une affaire individuelle. Or, notre droit impose normalement que toute instruction de ce type soit versée au dossier d’instruction, ce qui n’a pas été le cas dans l’affaire Fillon. »

Il faut bien entendu distinguer ces faits nouveaux, qui sont incontestables, des spéculations sur la nature de « l’influence » qui a pu guider en la circonstance l’action judiciaire. Au regard de ce qui ressemble tout de même de plus en plus à des pratiques de république bananière, on est cependant en droit d’estimer que l’hypothèse du « progrès démocratique » n’a guère gagné en crédibilité.

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