Le Parti Pris

Fessenheim : une défaite de l’écologie scientifique

Source : la revue Progressistes.

Le texte ci-dessous a été publié dans la revue Progressistes le 3 mars 2020. Sa lecture peut être utilement complétée par cette critique plus détaillée des arguments ayant servi à justifier la fermeture de la centrale et par la mise en garde d’Yves Brechet sur la défaillance stratégique de État que celle-ci révèle.

Fessenheim et la question écologique, par Patrick Le Hyaric

C’est sans grand bruit que le premier réacteur de la centrale nucléaire de Fessenheim a été mis à l’arrêt la semaine dernière, en prélude à un arrêt définitif de l’activité de la centrale avant l’été prochain.

Cette discrétion vaut surtout pour les 2000 emplois industriels directement menacés sans compter les milliers d’autres induits par l’activité de la centrale alsacienne : ce sont en tout près de 8000 emplois qui pourraient disparaitre avec la fermeture de la centrale.

Cette décision n’a été motivée par rien d’autre qu’un accord de pure circonstance électorale signé entre M. Hollande et ELLV lors de la campagne des élections présidentielles de 2012.

Ni l’Agence de sureté nucléaire, réputée pour son intransigeance et sévère indépendance, ni aucune étude scientifique ne le demandait. L’accord fut ensuite gravé dans le marbre grâce au vote en 2015 d’une loi dite de « transition énergétique » prévoyant notamment d’abaisser à 50% la part du nucléaire dans la production nationale d’électricité à l’horizon 2025, contre 70% actuellement. Autant dire un grand saut dans l’inconnu énergétique, non anticipé, à l’heure de l’urgence climatique… Et qui n’est étayé par rien d’autre que par un sentiment anti-nucléariste qui, s’il peut être compréhensible, ne saurait être au fondement d’une politique publique. D’autant plus qu’elle est « anti-écologiste ».

L’« urgence » climatique est à juste titre brandie comme « une », si ce n’est LA principale cause des décennies à venir. Et voici que, pour toute urgence, la France s’ampute d’une source de production d’énergie la plus décarbonée qui soit. Une production d’électricité grâce à des réacteurs, concernant Fessenheim, dont la durée de vie pouvait être, de l’aveu même de l’Agence de sûreté nucléaire, de plusieurs nouvelles décennies.

Le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) estime pourtant dans l’écrasante majorité de ses hypothèses pour maintenir le réchauffement climatique à 1.5C° d’ici la fin du siècle, que la part du nucléaire dans la production d’énergie est appelée à croitre. Les différentes énergies renouvelables sont à l’heure et pour longtemps encore jugées incapables de répondre à la demande mondiale. Les seules réserves du GIEC tiennent au sous investissement chronique dont pâtit la filière nucléaire à l’échelle mondiale. Le nucléaire est une filière de pointe qui réclame en effet d’importants et réguliers investissements qu’une maitrise publique serait seule en capacité de garantir. On peut dès lors s’étonner de l’abandon en rase campagne du projet de réacteur de 4ème génération baptisé Astrid, porté par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, plus sûr, recyclant les déchets, et largement plus productif que les actuels réacteurs. Derrière ces mauvais choix industriels, ce sont la recherche et l’emploi industriel dans la filière qui saignent, menaçant l’indépendance énergétique du pays qui se verra contraint d’importer des technologies en perpétuelle réinvention. Et derrière, la lutte contre le réchauffement climatique se trouve considérablement freinée. La fermeture de Fessenheim va en effet générer indirectement des millions de tonne de CO2 supplémentaires dans l’atmosphère…

Pendant ce temps, à quelques kilomètres de Fessenheim, dans la ville de Datteln en Allemagne, une centrale à charbon va voir le jour. L’Allemagne émet pourtant déjà dix fois plus de CO2 par kilowattheure que la France ! Et le phénomène s’est aggravé depuis l’abandon du nucléaire par Mme Merkel compensé par une production énergétique en gaz et en charbon très élevée, désastreuse pour l‘environnement.

La fermeture de Fessenheim est donc une « fermeture pour l’exemple », commandée par de simples considérations de basse politique et en aucun cas un acte réfléchi qui engagerait la France dans un mix énergétique propre à faire face à la fois au réchauffement climatique et aux besoins humains, tout en garantissant un prix bas de l’électricité. Sans parler du fait que le gouvernement sera contraint d’indemniser EDF à hauteur de 400 millions sur les 4 prochaines années au moins… Gâchis écologique, gâchis d’argent public, gâchis humain, gâchis industriel : cette fermeture opportuniste coche toutes les cases.

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