Le Parti Pris

L’irrationalité du moment

Depuis maintenant près de six mois, les Français sont entrés dans ce que j’appelle la bulle Corona. Cette bulle symbolise l’état psychologique dans lequel la population est plongée et qui entraîne des effets sur sa projection du futur. Dans une période classique, l’individu a tendance à être irrationnel mais lors de crises économiques ou financières, il l’est encore plus. Par exemple sur les marchés financiers l’effet moutonnier (suivre le troupeau sans avoir sa propre réflexion) bat son plein. Pourquoi ? La peur modifie notre perception du réel.

Le débat à propos de la réindustrialisation de la France fournit un autre exemple de ce glissement dans l’irrationnel. Est-il vraiment raisonnable de faire aujourd’hui de ce sujet une priorité ?

Alors que dans le milieu économique ou financier, la question de savoir si nous devons limiter l’impact de la crise économique ou réindustrialiser la France est tranchée, le débat demeure récurrent dans les médias. C’est grave, dans la mesure où cela signifie que les milieux économiques ou financiers ne sont pas assez écoutés ou lus. D’après un consensus assez large chez les économistes, il faut s’attendre à une récession de 10% en 2020 en France. C’est-à-dire une crise quatre fois plus importante en terme d’impact économique que la crise des subprimes, la plus forte récession du siècle. Et pendant ce temps on se met à rêver d’une France réindustrialisée !

Les entreprises qui feront des pertes et qui n’ont jamais été aussi endettées auraient donc, à en croire certains, les marges de manœuvre pour relocaliser les usines, marcher à contre-courant de la mondialisation et produire français… C’est beau, mais loin de correspondre à la réalité économique. Restons sérieux : pour faire face aux crises économiques, les solutions, formulées par des économistes tels que Keynes et Minsky, sont les mêmes depuis près d’un demi-siècle.

Herman P Minsky dans son ouvrage « stabiliser une économie instable » démontre que la meilleure solution lors d’une crise économique est une stratégie basée sur une forte intervention de l’État (baisse des impôts, augmentation des allocations…), coordonnée à une forte action des banques centrales, laquelle se traduit le plus souvent par des achats massifs de dette privée et publique (Quantitative Easing) et une baisse des taux directeurs. Cela a pour effet de rassurer les investisseurs en évitant un effondrement des marchés financiers et de protéger la population de l’impact économique à venir. C’est ce qui est préconisé à chaque crise aux États-Unis, un pays pourtant peu suspect de promouvoir le keynésianisme… S’ils le font, c’est qu’il y a une raison : limiter le choc permet d’investir dans le futur, tandis que relocaliser revient à investir dans le passé.

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