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Faits

L’impact de la crise du coronavirus sur la pauvreté dans le monde, par Julien Damon

Source : Futurible

La Banque mondiale s’assigne un objectif ambitieux : mettre fin à la pauvreté. L’institution internationale agit en ce sens. Sur le plan statistique, elle recense, produit et analyse les données afin d’évaluer les évolutions. Elle a élaboré, depuis presque bientôt un demi-siècle, un seuil international de mesure de la pauvreté. Ce seuil s’établit aujourd’hui à 1,9 dollar US par jour en parité de pouvoir d’achat.

Ces dernières décennies, à l’aune de cet indicateur singulier, ont été marquées par des progrès importants dans la réduction de la pauvreté. Celle-ci constitue le premier des objectifs de développement durable (ODD) fixés par les Nations unies, et fait l’objet d’une attention poussée de la part des gouvernements et de la communauté internationale. Des chiffres plutôt flatteurs ont été couramment diffusés, notamment à partir des années 2010. Il est vrai que quand, en 1990, 1,9 milliard de personnes vivaient dans la pauvreté — en France on dirait, à ce seuil, dans l’extrême pauvreté —, ce n’était plus le cas que de 740 millions en 2015. En taux, la pauvreté est passée d’un tiers de la population mondiale à significativement moins de 10 %. Des projections, établies et largement commentées durant les années 2010, soulignaient la quasi-extinction de la pauvreté à l’horizon 2030 (voir couverture de The Economist du 1er juin 2013, ci-dessous). Nombre d’études fouillées, publiées notamment par les économistes les plus éminents, relayaient cet optimisme [1].

La pandémie de Covid-19 et ses conséquences économiques douchent cet enthousiasme. La crise touche puissamment les populations pauvres des pays en développement. Elles subissent les effets des confinements nationaux qui ont, en économie domestique, drastiquement limité l’activité, et, en économie internationale, provoqué une déflagration. Dans des systèmes économiques et de protection sociale fragiles, là où une majorité de la population exerce dans le secteur informel, les chocs sont rapides et puissants. Dès mai 2020, l’Organisation internationale du travail (OIT) signalait que la pandémie de Covid-19 avait un impact dévastateur sur près de 1,6 milliard de travailleurs de l’économie informelle, dont les revenus avaient, en quelques semaines, baissé des deux tiers. En parallèle, les destructions d’emploi, le déclin des envois de fonds des travailleurs émigrés, la désorganisation des services d’éducation et de santé heurteront eux aussi les niveaux de ressources des ménages les plus pauvres.

Sur le plan de la pauvreté, telle donc que mesurée à 1,9 dollar US par jour, les taux devraient repartir à la hausse, pour la première fois depuis la fin de la décennie 1990. Lors d’une première estimation, en avril, la Banque mondiale [2], avait considéré que de 40 à 60 millions de personnes supplémentaires pourraient basculer dans la pauvreté en 2020 à la suite de la pandémie. Le taux mondial aurait ainsi augmenté à hauteur de 0,3 % à 0,7 %, pour se rapprocher à nouveau de la barre des 10 %.

En juin, de nouvelles estimations prennent acte du déplacement de l’épicentre de la pandémie, de l’Europe et de l’Amérique du Nord vers l’hémisphère Sud. Les estimations de l’impact du coronavirus sur la pauvreté dans le monde ont été revues à la hausse.

S’appuyant sur les prévisions de croissance économique en deux scénarios (l’un de base, l’autre pessimiste), les experts de la Banque retiennent deux hypothèses, celle d’une contraction de la croissance mondiale d’environ 5 % en 2020, un recul qui atteindrait 8 % dans l’hypothèse pessimiste.

Dans le scénario de base, ce ne sont plus 40 millions de personnes (comme dans les estimations du mois d’avril) mais 70 millions qui basculeraient en 2020 dans la pauvreté. Dans le scénario pessimiste, ce chiffre s’élèverait à 100 millions. Pour les années suivantes, les projections suggèrent que le nombre de personnes vivant dans la pauvreté resterait plutôt inchangé. Pourquoi ? En partie en raison des taux de croissance des pays qui comptent le plus grand nombre de pauvres. Nigeria, Inde, république démocratique du Congo, qui concentrent plus du tiers des pauvres du monde entier, devraient enregistrer des taux de croissance économique plus favorables en 2021 qu’en 2020. Mais, en l’espèce, rien n’est écrit.

Impact de la crise du coronavirus sur la pauvreté dans le monde

Source : Banque mondiale. La pauvreté est mesurée au seuil de 1,9 dollar US par jour.

Il est clairement acquis qu’une rupture de tendance s’est produite. Avec une lecture et des prévisions optimistes, on peut y voir un simple ralentissement (avec un retard pris d’un ou deux ans) dans la réalisation du dessein de quasi-éradication de la pauvreté dans le monde vers 2030. Avec une lecture plus pessimiste, on peut déjà voir l’effacement d’une demi-décennie de progrès. On peut aussi noter que la tendance haussière ne serait que ralentie dans les toutes prochaines années.

Bref, de toutes les manières, le coronavirus a marqué un coup d’arrêt. Selon le contenu et l’intensité de la reprise économique, il s’agira de voir si cette nouvelle crise n’aura alimenté qu’un à-coup ponctuel ou si, au contraire, elle aura enclenché un revirement.

 


[1] Voir, entre autres, l’ouvrage important du prix Nobel d’économie Angus Deaton, The Great Escape: Health, Wealth, and the Origins of Inequality, Princeton : Princeton University Press, 2014.

[2]. Pour les différentes données, voir https://www.worldbank.org/en/topic/poverty/coronavirus. La base « Povcal » de la Banque se trouve à cette adresse : http://iresearch.worldbank.org/PovcalNet/

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